D’origine espagnole par sa mère et basque française par son père, Cecilia Debenedetti a fondé, en 1945, avec la collaboration de Jacobo Ficher, Luis Gianneo et José Maria Castro, la maison d’éditions musicales EAM et qui a publié surtout des œuvres d’avant-garde de jeunes musiciens inconnus dont quelques-uns devinrent célèbres comme Juan Carlos Paz. Elle organisait des concerts et aidait personnellement les musiciens et les artistes qu’elle recevait dans sa maison du 1568 rue Bartolomé Mitre, où se trouvaient aussi les éditions EAM. Elle a financé la traduction de Ferdydurke en espagnol et du Mariage en français (cette traduction fut ronéotypée en quelques exemplaires). Elle a également publié El Casamiento (Le Mariage) dans sa propre maison d’édition.
Witold Gombrowicz sur Cecilia Debenedetti
dans son Journal, 1955 :
Chez les Berni justement, je fis la connaissance de Cecilia Benedit de Debenedetti qui réunissait chez elle, avenida Alvear, une bohème de genre divers. Cecilia vivait dans une sorte de halo brumeux : frappée, saoulée, épouvantée par la vie, elle se réveillait d’un rêve pour verser dans un autre rêve plus fantastique, luttant à la manière de Charlie Chaplin avec la matière même de l’existence... non, elle était incapable de supporter le fait d’exister, cette femme aux éminentes et exceptionnelles qualités, cette âme très noble d’aristocrate.
Témoignage de Cecilia Benedit de Debenedetti
dans Gombrowicz en Argentine 1939-1963 de Rita Gombrowicz, éd. Noir sur Blanc, Paris, 2004.
Extrait :
Witold allait assister à un concert et il m’a emmenée avec lui. Ah ! si vous aviez vu Witold ! Un vrai gentleman ! Je ne sais pas d’où il avait sorti ce smoking blanc. Avec une petite cravate très jolie. Witold jurait qu’il ne connaissait rien à la musique. Mais moi, je crois au contraire qu’il comprenait tout. Il faisait seulement semblant de comprendre à moitié ! Savez-vous qui il estimait beaucoup ici ? Mauricio Kagel. Il me disait : « Cecilia, c’est le meilleur musicien argentin. »
J’ai quelques souvenirs aussi des séjours de Witold dans mon chalet à Salsipuedes et dans mes ranchos de Cordoba. Le chalet de Salsipuedes était très joli, à proximité d’une rivière. Il y avait un garage juste à côté. Je l’ai aménagé pour Witold. Tout, y compris les planchers, était peint à la chaux. J’ai invité beaucoup de monde dans ce chalet. « Les Cubains » [1] y sont venus. C’est là que Witold a écrit Le Mariage. Il rédigeait aussi beaucoup de lettres. Il était d’une gourmandise inattendue mais ne se préparait jamais rien lui-même car il en était incapable. Alors il incitait la femme d’un pianiste, Anna Ficher, à lui préparer des bons petits plats. Ça valait la peine de l’écouter lorsqu’il encourageait Anna à faire la cuisine.
Je me rappelle qu’après le dîner, nous nous asseyions sur la véranda pour bavarder. Pendant ces longues soirées, on parlait de tout. Je me souviens que Witold a pris un jour un de mes livres de Freud. Il m’a fait croire qu’il n’avait rien lu de Freud, qu’il le connaissait juste un tout petit peu, comme ça, par hasard. C’était un mensonge. Il a lu ce livre et m’a dit qu’il lui avait beaucoup appris. Il me parlait toujours d’une façon très directe en me traitant un peu comme une enfant. A cette époque, je faisais de la peinture. Je dessinais son portrait. Nous parlions ensemble pendant qu’il posait. Après la soirée, il s’en allait dans son garage. Et moi je le regardais s’éloigner tout seul. Chaque fois j’avais la même impression étrange. Le fait de le voir de dos, de voir ses épaules. Et ça se répétait tous les soirs. Il était toujours de dos, s’éloignant seul, tout seul. C’était un solitaire.
Propos recueillis en espagnol. Buenos Aires, janvier 1979.