« Démocrite… Combien ? Mettons : Démocrite, 400 000.
Saint François d’Assise, 50 000 000 Kosciuszko, 500 000 000 Brahms, 1 000 000 000 Gombrowicz, 2 500 000 000. Les chiffres placés après chaque nom représentent l’ « horizon humain » du personnage envisagé, c’est-à-dire à combien à peu près il évaluait la population de son temps –comment il se voyait lui-même en tant qu’ « un parmi beaucoup d’autres ». Combien d’autres ? Je mets des chiffres au hasard… mais j’estime qu’il serait judicieux d’associer des chiffres à chaque nom de façon qu’on puisse connaître non seulement le nom d’un homme mais aussi sa « place parmi les autres ». C’est ce qu’on pourrait appeler le « nombre » d’un individu, sa « quantité ». […] Si je suis un parmi deux milliards, ce n’est pas la même chose que si j’étais un parmi deux cent mille. » Journal, 1962 |
« Comment se fait-il qu’ils ne soient pas capables de se rendre compte du fait essentiel – à savoir que, tandis qu’ils discutent, le nombre de gens ne cesse d’augmenter ? Quel démon animé d’une malveillance absolument gratuite les empêche de se rendre compte du nombre ? Dîtes, à quoi bon les systèmes les plus justes et la répartition des biens la plus équitable si entre-temps la voisine se multiplie par douze, si le crétin du rez-de-chaussée fait six gosses à sa gonzesse et si, au premier étage, on passe de deux à huit locataires ? Sans parler des Noirs, des Asiatiques, des Malais, des Arabes, des Turcs et des Chinois. Des Hindous. Que sont tous vos discours sinon les sornettes d’un idiot qui ignore la dynamique de ses propres organes génitaux ?
Que sont-ils sinon le caquetage d’une poule assise sur la plus terrible des bombes – ses œufs ? » Journal, 1962 |
« Dans l’Histoire, il faut devenir – pour demeurer… Tous les cimetières de la Grèce antique se réduisent finalement à deux ou trois cents personnes : Alexandre, Solon, Périclès. Et de la Florence du Moyen Age, combien d’hommes émergent mis à part Dante ?
Dans le long défilé de tous les morts du monde, je ne pourrais guère reconnaître que les Grands. J’aime l’arithmétique, elle me pose d’une certaine façon vis-à-vis de pas mal de problèmes. Combien de gens meurent-ils par jour ? deux cent, trois cent mille ? Journellement, une armée entière – une vingtaine de divisions - descend au tombeau. Je ne sais rien, je n’y entends rien, ne suis au courant de rien… rien, néant complet… tout est en dehors de moi. La discrétion de la mort (mais aussi de la maladie) ! Quelqu’un qui ne saurait pas que l’on meurt en ce bas monde pourrait, des années durant, arpenter nos rues, nos places, nos routes, nos parcs et nos champs avant de découvrir que pareil phénomène a eu lieu. » Journal, 1966 |