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Imbert : Witold Gombrowicz et Martin Buber

Francis Imbert : Witold Gombrowicz et Martin Buber


Francis Imbert : Witold Gombrowicz ou les aventures de l’interhumain, L’Harmattan, Paris, 2009.
Chapitre L’homme-Dieu.

Extraits :


Le terme d’« inter-humain » apparaît chez Gombrowicz dans le Journal de 1953, quelques pages après des lignes qui évoquent Martin Buber et sa vision de « l’homme en rapport avec un autre homme ». C’est Alejandro Russovich qui avait, auparavant, fait découvrir à Witold l’ouvrage de Martin Buber, Le problème de l’homme, dans sa traduction espagnole. Un ouvrage fondé sur un cours fait par Buber en 1938 à l’Université Hébraïque de Jérusalem et publié en hébreu en 1942, dont le dernier chapitre développait la notion de « l’homme-avec-l’homme » [1] ou encore celle de l’« Entre-deux ». Après cette lecture Gombrowicz avait rédigé, le 3 mai 1951, la première des cinq lettres qu’il devait adresser à Buber - la dernière en date du 21 janvier 1955.
Il avait espéré faire reconnaître par le philosophe que Le Mariage, le drame qu’il avait achevé en Argentine en 1948, développait la même pensée que Le problème de l’homme. Il envoie à Buber l’un des quelques exemplaires dactylographiés du texte de la pièce en polonais. Les réponses de Buber seront aimables, mais ne répondront pas à l’attente de Gombrowicz qui, de son côté, ne retenait dans Le problème de l’homme que ce qui l’intéressait. « II me semble, en vérité, soulignait Gombrowicz dans sa première lettre, que le point de départ de ce drame [Le Mariage] est presque le même [que celui du Problème de l’homme] : c’est la même idée de la réalité qui se crée entre les hommes [...] et vous verrez que, avant de connaître vos écrits, j’ai employé la même parole "entre" comme le signe et le pressentiment d’une nouvelle conception de l’homme » [2].
En 1953, l’année même où Gombrowicz évoquait Buber dans son Journal et mettait en circulation son propre concept d’« inter-humain », le philosophe devait publier Elemente des Zwischenmenschlichen, un texte traduit en français chez Aubier en 1959 sous le titre : Éléments de l’interhumain... Dans ce texte Buber situe l’interhumain comme « une dimension qui nous est si familière que nous ne sommes guère devenus réellement conscients, jusqu’ici, de sa particularité. » Une dimension qui tend à s’effacer derrière le « collectif ». Le domaine de l’interhumain est celui où le « décisif, c’est le ne-pas-être-objet ».
Celui de l’« authenticité » - opposée aux jeux de miroirs des « hommes-images ». C’est « l’authenticité de l’interhumain qui importe » contre la « dépendance » qui se développe entre les hommes et « la fantasmagorie des semblants de figure ».
Gombrowicz n’a pas suffisamment poussé sa lecture de Buber pour pouvoir se rendre compte que l’interhumain du philosophe spiritualiste, marqué par la quête de l’authenticité, un rejet de l’« apparence », la centration sur « l’être de la personne », le refus de « s’imposer » à l’autre, le choix d’agir de manière à l’« ouvrir » - en somme, une « ontologie de l’internumain » - s’avérait étranger à sa propre conception de l’interhumain. La troisième et dernière partie du texte inaugural de 1923 de Buber, « Je et Tu », s’ouvrait sur « Le Toi éternel » et c’est sur la visée de « former l’homme à l’image de Dieu » que s’achevait le texte de 1925 sur la « fonction éducative ».


[1] M. Buber, Le problème de l’homme, traduit par Jean Lœwenson-Lavi, éd. Aubier-Montaigne, Paris, 1962, p. 113.

[2] R. Gombrowicz, Gombrowicz en Argentine 1939-1963, éd. Noir sur Blanc, Paris, 2004, p.166.