François Bondy (1915-2003)
François Bondy, né à Berlin le 1er janvier 1915 et mort à Zurich le 27 mai 2003, est un journaliste et auteur suisse.
Il travailla pour des journaux suisses et allemands de premier plan, dans lesquels il était réputé pour la qualité de ses analyses politiques. Intellectuel européen, il écrivait en allemand, français et italien.
Il a fait ses études en langue italienne en Suisse, a passé son baccalauréat en français à Nice et est devenu, à dix-neuf ans, rédacteur dans un journal financier à Paris.
Après un séjour de quelques mois dans un camp de concentration français dans les Pyrénées, Bondy est retourné en Suisse en 1940 où il est devenu rédacteur littéraire et politique dans l’hebdomadaire suisse de langue allemande Die Weltwoche. En 1949, il a commencé à collaborer à la revue Der Monat de Berlin.
En 1950 il s’associa au Congrès pour la liberté de la culture sous les auspices duquel il fondera à Paris, en mars de la même année, la revue Preuves dont il resta le directeur jusqu’en 1969.
Depuis 1970, Bondy habita Zurich où il fut codirecteur de la revue mensuelle suisse de langue allemande Schweizer Monatshefte.
François Bondy est l’auteur et le coauteur de plusieurs ouvrages littéraires.
La revue Preuves
Preuves était une revue intellectuelle française des années 1950-1960. Elle fut animée par François Bondy. Fondée en 1951, elle fut l’une des rares revues françaises à s’opposer au communisme alors triomphant parmi les intellectuels, en défendant une ligne éditoriale libérale de gauche.
Elle couvrait la politique, l’économie et les arts. Elle garda tout au long de son existence cette ligne aussi ouverte que possible, devenant une plateforme d’expression des intellectuels européens libéraux, interdits dans les pays communistes et réticents au marxisme dominant la gauche de l’époque.
La revue fut financée par le Congrès pour la liberté de la culture, organisation américaine soutenue secrètement par la CIA dans la lutte contre le communisme.
En 1969, à la suite de la crise qui secoua le Congrès dont le financement par la CIA avait été révélé, François Bondy quitta Preuves après dix-huit ans de direction.
La revue a continué à être publiée jusqu’en 1974.
Plus de 200 numéros furent publiés.
Bondy et Gombrowicz
On doit à François Bondy le premier article sur Gombrowicz publié en France « Note sur Ferdydurke », Preuves, n°32, octobre 1953) qui a incité Maurice Nadeau et d’autres intellectuels à s’intéresser à son œuvre.
Il a écrit de nombreux textes, surtout en allemand, sur l’œuvre de Gombrowicz, en particulier une monographie sur son théâtre signée avec Constantin Jelenski. Lui-même s’est qualifié, avec Jelenski, d’« Eckermann à deux têtes ».
Polyglottes, cosmopolites, d’esprits complémentaires, Bondy et Jelenski n’ont cessé tous deux pendant plus de trente ans de promouvoir l’œuvre de Gombrowicz.
François Bondy a rencontré Gombrowicz pour la première fois à Buenos Aires en 1960. Il lui a aussi rendu quelques visites à Vence, en France, entre 1965 et 1969.
Gombrowicz sur Bondy :
« Cet éminent rédacteur en chef, qu’on a peine à s’imaginer autrement qu’avec quatre téléphones et trois secrétaires, fait très poète. Tellement poète que nous, les poètes, nous nous demandons parfois si cette indolence, cette expression d’enfant égaré, ces yeux avides, cette étrange faculté d’apparaître (au lieu d’entrer, tout simplement), n’ont pas pour but de nous séduire afin qu’il puisse ensuite nous utiliser froidement pour arriver à ses fins. Mais je me réjouis que les politiciens soient enclins, au contraire, à redouter que les froides qualités d’organisateur de Bondy n’aient pour but de les tourner en bourriques et de les prendre dans les rets de la poésie. Bondy fait sans doute partie (je ne le connais que très peu) de ces gens dont la force consiste dans une sorte d’absence ; il est toujours ailleurs que dans ce qu’il fait, ne fût-ce que d’un pied au-delà ; son astuce, c’est celle d’un veau qui téterait deux mères. »
Journal, 1961 |
Bondy sur Gombrowicz :
« J’ai rencontré Gombrowicz pour la première fois à Buenos Aires en novembre 1960. Tout ce qu’il dit là-dessus dans son Journal est vrai. Il n’a rien ajouté pour produire un effet, excepté sa surprise de ne pas me voir habiter un hôtel de luxe. Là, je crois qu’il a un peu joué. Il trouvait ou faisait semblant de trouver que quelqu’un qui écrivait sur lui devait être très important et le manifester par sa résidence. Je suis passé chez lui, rue Venezuela. Il semblait plutôt gêné de loger dans cette chambre pauvre. Il m’a dit tout de suite : « Allons au café » et on est sorti. Il a tenu à me montrer les gens qu’il connaissait, les lieux qu’il fréquentait. [...]
Il voulait aussi montrer à ses compatriotes qu’un directeur de revue était venu de Paris pour le voir. Il n’était pas nostalgique, il n’a pas parlé de la Pologne, ni de son passé, ni d’ailleurs des conditions présentes de sa vie. Il paraissait à sa place dans une certaine bonne société, en compagnie de jeunes Argentins dans les cafés. Pour moi, Gombrowicz était tellement l’homme que j’avais lu que je ne me suis pas demandé à quel type d’humanité il pouvait appartenir. Je voyais Gombrowicz. Je ne voyais pas un Polonais. Il était entièrement dans le présent. Il m’a posé beaucoup de questions. Il voulait savoir dans quelles circonstances j’avais lu Ferdydurke en espagnol. Il ne s’est pas livré. On a discuté de son œuvre, des traductions, des éditeurs et des questions pratiques qui le concernaient. Il manifestait de l’intérêt pour l’avenir de son œuvre en Occident, tout en gardant une attitude réservée. Il n’a jamais dit en vibrant : « Voilà, j’arrive ! » comme on pourrait le croire en lisant son Journal. » Témoignage de François Bondy dans le livre de Rita Gombrowicz Gombrowicz en Europe (1963-1969) |