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Duteurtre : La lycéenne moderne

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Duteurtre : La lycéenne moderne


Benoît Duteurtre : Gombrowicz, la forme, la France. Quelques notes sur “Ferdydurke”, dans la revue Atelier du roman, Paris, mai 1994.

Extrait :



Au milieu de Ferdydurke, le passage consacré à la « lycéenne moderne » est l’un des points culminants de l’ouvrage : s’y rencontrent comique et tragique, sens et non-sens, fiction et réalisme, poésie amoureuse et critique sociale...
Richesse particulière de cet épisode : un thème développé depuis le début de l’ouvrage (la lutte de la maturité et de l’immaturité, vue à travers les comportements d’un groupe de lycéens) se croise ici avec un autre thème : l’opposition entre le vieux monde et le monde moderne ; ce croisement prend la forme d’une scène de séduction entre le narrateur et une « lycéenne moderne ».
Il est fascinant que Gombrowicz, âgé de trente ans, dans la Pologne de 1935, ait perçu si finement, dans ce portrait de la lycéenne, l’affirmation ravageuse de la jeunesse en tant que modernité sociale, qui caractériserait toute la seconde moitié du siècle (et que raconterait, à sa façon, Nabokov dans Lolita en 1958). La « lycéenne moderne » contient cet alliage sulfureux de jeune beauté et de force ravageuse, cette harmonie et cette violence. Le motif gombrowiczien de la maturité et de l’immaturité éclaire à la fois l’histoire individuelle et l’histoire du siècle. Dans cet épisode, la critique sociale se mêle à l’opposition des caractères personnels à travers un jeu stylistique particulièrement drôle : l’expression « lycéenne moderne » devient, par instants, à elle seule, l’objet poétique où s’exprime toute la dérision de ces concepts.
On peut se demander quelles traces il restera de notre demi-siècle, lorsqu’on lit la production actuelle de romans réputés littéraires. La plupart réduisent l’homme à un bégaiement esthétisé, raniment de vieux décors romanesques, mais semblent presque aveugles à la fresque éclatante du temps présent. Il y a chez Gombrowicz au contraire une présence permanente du monde, du paysage, de la réalité, du mouvement de l’Epoque, soumis aux questions lancinantes, aux obsessions personnelles du narrateur ; une façon de parler de cette époque sans en parler. La critique sociale est, dans Ferdydurke, un pan de la critique générale de l’existence.