Jerzy Jarzębski : Problèmes d’autodéfinition
Jerzy Jarzębski : Gombrowicz : problèmes d’autodéfinition, dans Witold Gombrowicz entre l’Europe et l’Amérique, dir. Marek Tomaszewski, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2007.
Extrait :
Nous apercevons facilement que ce qui fascine Gombrowicz dans la littérature, c’est la situation même de l’homme en train d’exprimer son « moi ». Sur fond de toutes les proclamations de « la mort de l’auteur », dont la théorie de la littérature abonde ces dernières décennies, la position de l’auteur de Ferdydurke peut paraître anachronique. Cependant, il n’en est rien. Gombrowicz se rend parfaitement compte de la subjectivité qui s’opère dans la culture contemporaine ; ainsi son « moi » n’est pas un « point de départ » axiomatique de toute réflexion, constant et déterminé. Bien au contraire ! Le « moi » gombrowiczéen est toujours en train de se générer, il demeure instable et problématique, tributaire tant de l’histoire personnelle de l’écrivain, des conditions génétiques et des processus de formation et d’éducation, que de l’enchevêtrement social et des situations dont il relève, des partenaires de communication, du langage ou du style employés à un moment donné, etc.
Dans le « moi » répété quatre fois au début du premier volume du Journal, les critiques ont pris l’habitude de voir un même « moi » amplifié à l’extrême, alors que pour ma part, c’est la succession des jours de la semaine qui m’interpellait ; en effet, le « moi » du lundi, ceux du mardi, du mercredi et du jeudi sont disposés en série, et s’ils sont certes différents car se formant dans le temps, ils s’entrechoquent et sont aux prises les uns avec les autres. En créant son Tango Gombrowicz, un spectacle présenté au Teatr Stary de Cracovie, Mikołaj Grabowski l’aura pensé de la même manière, puisqu’il a fait prononcer le « moi » à quatre acteurs différents qui incarnent ensuite quatre variantes personnelles d’un Gombrowicz héros du spectacle. Ajoutons encore que les quatre versions du « moi » ne venaient pas seulement du texte, mais aussi de la personnalité des acteurs eux-mêmes : chaque acteur était à la fois Gombrowicz et lui-même, prouvant ainsi à quel point chaque moi renferme le reflet des autres « moi » qui l’accompagnent et le complètent.
Janusz Margański a intitulé son excellent ouvrage sur l’œuvre de Gombrowicz : Gombrowicz : wieczny débiutant [1]. Les débuts réitérés de Gombrowicz découlaient, bien évidemment, des cataclysmes existentiels à cause desquels il était amené, en tant qu’écrivain, à recommencer chaque fois à nouveau, à se réinstaller dans des réalités nouvelles, à se présenter à des lecteurs qui ne le connaissaient pas. Mais, qui sait ?, ces débuts perpétuels renferment-ils peut-être un accomplissement de rêves secrets ? Gombrowicz aima pourtant la situation d’éternel indéfini, de non-établi, à laquelle on parvient le plus facilement dans un milieu étranger, situation qu’une position acquise parmi les siens ne saurait privilégier.
[1] Janusz Margański, Gombrowicz -wieczny débiutant [Gombrowicz : l’étemel débutant, Wydawnictwo Literackie, Kraków, 2001.