Witold Gombrowicz : Traduction de "Ferdydurke" en espagnol
La traduction de Ferdydurke en espagnol a commencé en 1946.
L’écrivain décrit les conditions de ce travail collectif dans la préface à l’édition espagnole, Argos, Buenos Aires, 1947.
Extrait :
Cette traduction a été réalisée par moi et elle ne ressemble que de loin au texte original. Le langage de Ferdydurke pose de nombreuses difficultés au lecteur. Je ne domine pas suffisamment l’espagnol. Il n’existe même pas de lexique polonais-espagnol. Dans ces conditions, la tâche a été aussi difficile qu’obscure et elle a été menée à bien à l’aveuglette - et seulement grâce à l’aide noble et efficace de plusieurs fils de ce continent, émus par la paralysie idiomatique d’un pauvre étranger.
La réalisation de l’ouvrage est due avant tout à l’initiative et à l’appui de Cecilia Benedit de Debenedetti à qui je désire exprimer ici tous mes remerciements.
Sous la présidence de Virgilio Pinera, distingué représentant ès lettres de la lointaine Cuba, en visite dans notre pays, un Comité de traduction s’est formé, composé du peintre-poète Luis Centurion, de l’écrivain Adolfo de Obieta, directeur de la revue littéraire Papeles de Buenos Aires et d’Humberto Rodriguez Tomeu, autre fils intellectuel de la lointaine Cuba. Je m’incline profondément devant ces gentilshommes et gauchos. Mais on a vu en outre collaborer à cette traduction, avec acharnement et sacrifice, tant de représentants de différents pays et provinces, différentes villes et quartiers, que rien que d’y penser je ne peux retenir une bouffée d’orgueil légitime. Ont collaboré : Jorge Calvetti, Manuel Claps, Carlos Coldaroli, Adam Hoszowski, Gustave Kotkowski et Pablo Manem (patients chercheurs du verbe), Mauricio Ossorio, Eduardo Paciorkowski, Ernesto J. Plunkett et Luis Rocha (ici se rejoignent le Brésil, la Pologne, l’Angleterre et l’Argentine), Alejandro Rússovich, Carlos Sandelin, Juan Seddon (obstinés chercheurs de la tournure adéquate), José Taurel, Louis Tello et José Patricio Villafuerte (pleins d’efficacité et d’intuition). Je dois aussi une reconnaissance éternelle à un très sympathique monsieur, déjà âgé, et grand amateur de billard, qui, dans un moment d’heureuse inspiration m’a procuré le mot « remover » que j’avais complètement oublié. Je dois remercier, pardieu ! tous ces nobles docteurs ès « gauchada » [un service rendu par amitié] et aux « criollos » je dis seulement ceci : vive la patrie qui produit de tels fils ! Si malgré ce nombre impressionnant de collaborateurs, le texte espagnol souffrait de quelque faille provenant non des difficultés insurmontables de la traduction mais de l’inattention, cela serait dû je crois, à l’excès de discussions amènes qui caractérisaient les séances, presque toutes tenues dans la salle d’échecs du café Rex, sous le sourire énigmatique et bienveillant de son directeur, maître Paulino Frydman.
Je me réjouis que Ferdydurke ait vu le jour en espagnol de cette façon-là, et non dans les tristes ateliers du commerce livresque !
Ce texte de Witold Gombrowicz figure aussi dans le livre de Rita Gombrowicz Gombrowicz en Argentine 1939-1963, éd. Noir sur Blanc, Paris, 2004.